LE BLOG DE CHRISTEL

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Chabadabada.....

Le dessin ci-dessus est de François Matton

samedi 27 mars 2010

CAB'ANA




Elle n’était pas vraiment à moi. D’ailleurs, ce n'était pas vraiment moi non plus. Enfin si… mais aujourd’hui, je ne me reconnais plus dans cette petite fille solitaire qui passait ses soirées et une bonne partie de ses nuits dans une cabane. Je ne l’avais pas encore baptisée Cab’Ana à l’époque, et elle ne m’appartenait pas encore.
C’était papa qui l’avait construite avec José. Et José refusait que j’y aille, c’était son univers à lui avec papa. Mais cela ne me dérangeait pas. Pas trop en tout cas.

Enfin c’était avant… avant la maladie de José, avant qu’il ne puisse plus du tout se déplacer, puis plus du tout parler, plus du tout manger, et puis plus du tout exister.

C’est à l’époque où il ne pouvait plus parler que j’ai commencé à fréquenter la cabane. Un soir, un soir où l’atmosphère de la maison était trop pesante, maman dans la cuisine avec José qui ne répondait plus à rien, papa dans le salon qui regardait la scène sans rien dire. Ce soir-là, je suis sortie dans le jardin et me suis dirigée sans réfléchir vers la cabane dans l’arbre. C’était un petit tilleul, et papa avait placé une échelle de corde le long du tronc pour accéder à la plate-forme de bois entourée de planches. Il avait aussi fait une rambarde avec de petits rondins, comme ceux que nous avions vus au Canada quand nous étions allées voir les cousins du Québec, comme les appelait Maminou. Maintenant que j’y pense, c’est à notre retour que papa a eu l’idée de la cabane et qu’il s’est mis à la construire.

Donc, c’est ce soir-là que je suis montée pour la première fois dans la cabane. L’échelle de corde était raide mais je voulais trouver un endroit loin de la maison, et je n’avais pas le droit de sortir du jardin. Alors je n’avais pas le choix. En montant, j’ai perdu mon chausson. Je me suis mise à rire en me disant que ce n’était pas l’endroit pour jouer les cendrillons et qu’aucun prince charmant ne pourrait jamais me trouver là-haut ! Je suis arrivée sur la planche devant la porte fermée par une cordelette attachée à un bouton de porte ovale, comme ceux qu’il y avait chez Maminou. Je me suis demandé d’ailleurs si c’est là que papa l’avait récupéré. J’ai détaché la cordelette pour ouvrir. C’était tout sombre mais je savais qu’il y avait de la lumière, que papa avait installé un système.. il me fallait juste trouver comment allumer. Je tâtonnais donc à petits pas, en me demandant s’il y avait des choses, des meubles, si j’allais soudain buter contre des objets. Mais je ne butais contre rien, et je ne trouvais décidément pas la lumière. Alors j’abandonnais, après tout, je m’en fichais. Je voulais juste penser toute seule sans la présence de José, toujours silencieux maintenant, toujours immobile aussi, sans la présence de papa et maman toujours avec José. Et je décidais, une bonne fois pour toutes, que dans la cabane, je ne penserai ni à José, ni à papa et maman, ni d’ailleurs à Maminou. Je décidais d’interdire l’entrée de la cabane, non seulement à eux physiquement, mais aussi à ma pensée d’eux.

C’était si simple que je me demandais comment je n’y avais pas pensé auparavant ! Et c’est à ce moment là que j’ai décidé que la cabane serait à moi, que je l’appellerai la Cab’Ana. Je ne dirai rien à José pour ne pas lui faire de peine et je ne monterai pas dedans tant qu’il me verrait, mais elle serait mienne dorénavant. Je ne sais plus combien de temps je suis restée dans le noir, en silence en pensant à tous ces moments que j’allais enfin pouvoir passer seule, sûrement longtemps car papa m’a appelé avec un ton très inquiet. Ils n’avaient pas du se rendre compte que j’étais sortie de la maison et en regardant l’heure, ils ont dû avoir peur. Je suis descendu par l’échelle de cordes après avoir soigneusement remis la cordelette autour du bouton de porte à tâtons car je n’y voyais plus rien du tout. En bas, j’ai récupéré mon chausson et je suis rentrée en criant que j’arrivais.

Et voilà, comment vingt ans plus tard, je me rappelle cette prise de possession de la cabane de José. Papa n’a rien dit le lendemain, ni ensuite quand il m’a vu, en cachette de José bien sur, emporter quelques livres, une petite table d’osier, un tabouret, des bouteilles d’eau, un verre, des crayons de couleur et du papier dans la cabane. Rien, absolument rien, encore aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi il n’a rien dit, nous n’en avons jamais reparlé.

La première chose que j’ai faite, c’est une calligraphie. A l’époque j’avais commencé les calligraphies avec Loulia qui était professeur aux beaux-arts et qui animait des ateliers pour les enfants. Maman avait pensé que cela me ferait penser à autre chose. La première calligraphie réalisée dans la cabane , c’était son nom... mon nom à moi, Ana. Cab’Ana… Ensuite, toutes les choses que j’ai faites dans Cab’Ana… Tout. Quand je rentrais de l’école, j’y allais, c’est là que je répétais mes morceaux avec ma flûte traversière que j’avais commencé en même temps que la calligraphie.

Et surtout, surtout, je ne pensais pas à ma famille. Après la « fuite », de José, c’est ainsi que maman disait, plus rien ne semblait tourner rond dans la vraie maison. Moi, je n’y pensais que quand j’y étais. Le reste du temps, je lisais, je jouais et je dessinais dans Cab’Ana. Plus tard, j’y faisais aussi mes devoirs et quand j’ai passé le baccalauréat, je me souviens y avoir élu domicile puisque j’y dormais. J’avais installé un petit matelas et emporté plusieurs couettes. Je ne permettais à personne d’y monter et mon désir était étrangement respecté.

Même quand la vie a repris dans la maison quand papa a décidé de permettre à Loulia de venir vivre « avec lui ». Il n’a jamais dit « avec nous », et pour cause, je ne vivais pas vraiment dans la maison. J’y venais manger, regarder un peu la télévision de temps à autre. J’aimais certaines émissions bien précises et mon emploi du temps dans la maison était réglé sur les horaires de ces dernières.

Can’Ana était mon chez moi. Je n’en ai jamais vraiment eu d’autre.

Aujourd’hui, je me demande parfois si elle existe toujours.

Je ne suis jamais revenue la-bas. Dès que cela a été possible, papa a décidé de vendre la maison pour aller « refaire sa vie » avec Loulia ailleurs, loin de ce qui a été la vie de famille d’avant. Avant quoi ? me suis-je toujours demandé ? Avant la mort de José ? Avant le départ de maman ? Avant mon emménagement dans Cab’Ana ? J’avais 17 ans quand j’ai quitté tant la France que Cab’Ana, et tout ce qui avait été ma vie de solitaire studieuse. Passé mon bac avec une année d’avance, je me suis envolée loin, très loin, le plus loin possible de tout cet univers. Je savais qu’il le fallait.

Pourtant, il y a eu une seule exception à la solitude vécue dans Cab’Ana. J’avais 16 ans et demi quand cela s’est passé. Avec le recul des années, et la volonté d’effacer de ma mémoire certains des sentiments vécus à ce moment, j’ai fini par croire que j’avais tout rêvé. Mais ces derniers jours, pendant ce stage de sophrologie dans lequel m’a entraînée mon amie Lee, de manière étrange et inattendue, ces sentiments, plus de 20 ans après sont réapparus plus fort que jamais que dans aucun de mes rêves nocturnes.

C’était peu après la mort de José. Finalement, même José le plus résistant de tous, comme disait Maminou s’est lassé de son calvaire d’enfermement progressif. En fait, je crois que José et moi, toutes proportions gardées car moi je n’étais pas malade physiquement, nous vivions la même chose. Lui s’enfermait dans un silence et dans un désert de sensations inexorablement, et moi, je suivais le même mouvement. Les événements se déroulaient en dehors de moi, sans me toucher vraiment, du moins en dehors de Cab’Ana. En fait, je ne m’exprimais en écrivant ou en jouant de la flûte que dans Cab ‘Ana. Le reste du temps, je répondais aux questions par monosyllabes « oui, non, peut-être, bien sur, pas question… », je ne montrais rien de ce que je ressentais (d’ailleurs la seule à vouloir connaître certains d’entre eux, c’était Maminou à qui invariablement, je répondais : « Mais bien sur que ça va, moi je ne suis pas malade ! »).

Je refusais les concerts auxquels, pourtant, mon professeur tenait à me faire participer disant que j’étais assez douée pour cela. Je jouais sans cesse le même morceau quand on me demandait une prestation lors des rares occasions familiales où on me le demandait (Danse de la chèvre de Honegger), tous les autres étaient pour moi et moi seule dans Cab’Ana.

Un soir, je jouais un morceau de Mozart quand soudain je me rendis compte que je n’étais absolument pas seule à le jouer. Un piano m’accompagnait. Interloquée, je cessais de jouer. Le piano cessa aussi. Je pensais avoir rêvé ce piano et repris là où je m’étais arrêtée. De nouveau, après quelques secondes, le piano repris sa mélodie d’accompagnement. Cette fois, je ne m’arrêtais pas.

Je ne savais pas, n’avais jamais remarqué avant que quelqu’un dans le voisinage avait un piano. Cet inconnu et moi avons ainsi joué l’intégralité du morceau et quand je jouais la dernière note, je me rendis compte que cela m’avait énormément plu.

Pour la première fois, j’avais partagé de loin en étant dans Cab’Ana quelque chose avec quelqu’un. C’était une sensation étrange et nouvelle. Le piano était silencieux et je me demandais si je devais reprendre un autre air pour retrouver cette sensation de partage… quand commença une mélodie que j’identifiais aussitôt. Je la connaissais et décidai de rentrer dans ce jeu…

Ces partitions à deux continuèrent plusieurs semaines durant. Je savais où était le piano et l’inconnu qui interprétait avec moi un ensemble d’airs que j’avais toujours joué seule auparavant. M’avait-il entendue et avait-il appris les accompagnements, ou les connaissait-il avant ? Qui était-il ? Pour la première fois aussi, je me posais des questions sur quelqu’un de l’extérieur dans mon petit univers solitaire.

Mais je ne cherchais pourtant pas à savoir qui il était. D’ailleurs, je lui avais attribué une personnalité masculine sans savoir pourquoi. Ce pourrait être une femme bien sur. Mais ce mystère me plaisait, il faisait partie du jeu que nous avions commencé avec le morceau de Mozart. Je ne souhaitais pas le briser juste par curiosité.

Loulia un jour, me demanda qui jouait avec moi le soir. Je lui répondis que je n’en savais rien et cela l’étonna énormément. Elle me demanda si je voulais qu’elle se renseigne et je lui répondis qu’elle pouvait le faire si elle le souhaitait, mais que cela ne m’intéressait pas. J’aimais jouer ainsi, mais je n’avais pas envie de quitter Cab’Ana, ce qui pourrait arriver si la personne qui jouait avec moi me le demandait.

Loulia répondit que je devrais le faire, comme mon professeur, elle me poussait à faire des concerts en permanence contrairement à papa qui me laissait tranquille, la plupart du temps.

Et puis un jour, mon mystérieux compagnon de musique disparut. Ou plutôt, je continuais à jouer seule. Je me sentis, c’est étrange, seule alors que jamais auparavant je n’avais ressenti ce sentiment. Quand je montais dans Cab’Ana et commençait à jouer, je me mis à espérer secrètement que recommence ce jeu. Mais j’étais toujours déçue. Plus de piano, plus de compagnon de musique. Je commençais à me reprocher de ne pas avoir cherché à savoir qui il était. J’étais tellement sûre que le plaisir de jouer ensemble de cette manière était partagé que je n’avais pas pensé que cela pourrait s’arrêter si vite, si brusquement. Petit à petit, le sentiment de déception s’empara de moi si fort que j’en arrivais pour la toute première fois de ma vie à appréhender de monter l’échelle de cordes et de dénouer la cordelette du bouton de porte. Je savais qu’en rentrant un fol espoir m’envahirait, celui de réentendre le piano. Je me disais que je ne serai pas en mesure de vivre de nouveau une déception face au silence ou à la mélodie solitaire de ma flûte.

Vingt ans après, juste à la fin de cette séance de sophrologie, je ressens ce manque et cette déception violente. Ce sentiment qui m’étreint et me serre le cœur quand je finissais la dernière note. Un jour, je n’ai pas osé lever la cordelette. Je ne suis pas rentrée dans Cab’Ana. J’ai refermé à jamais ces heures de solitude pour me plonger dans un tourbillon virevoltant de rencontres. Je suis partie loin, très loin de Cab’Ana. Je ne regrette pas ce geste. Je sais que c’est grâce à cet inconnu musicien, qui n’en a jamais rien su, et c’est sûrement mieux ainsi. Cab’Ana est restée inviolée du moins physiquement, mais pas moralement par cet inconnu qui m’a permis de la quitter pour toujours.

Texte écrit a la demande de Marc, il y a quelques années..

4 commentaires:

Unknown a dit…

J'ai le souffle coupé, là... Christel...

Christel a dit…

J'ai écrit ce texte pour un ami décédé récemment. je le republie ici en pensant á lui !

Anonyme a dit…

Bonjoir Christel!
je cherchais un moyen de contacter quelqu'un(e) (Grain de sel? mr Ben Bouhtkache?) de médiapart pour demander un "service" et je suis arrivé sur votre blog (en passant par chez Tonymaj!)
et je "tombe" sur votre texte..comme Yolaine, le souffle coupé,
d'autant plus que je venais de lire un texte (et je cherche quelqu'un qui pourrait le(s) présenter sur Médiapart)
je me permet de recopier le texte de la personne:
" la cabane:
Lorsque je passe sur le terrain rendre visite ce mercredi après midi, les filles sont entrain de jouer dans leur cabane... elles courent vers moi et m'entrainent pour me montrer "viens voir, c'est Paul qui l'a fait pour nous !"
La cabane est derrière les caravanes, entre des arbres ; faites de taules et de baches en plastiques...
Paul leur grand frère a ramené plein de chose de la chine (la fripe, la ramasse... comme on dit), des trucs qu'il a ramassé dans les encombrants, pour leur aménager un vrai petit intérieur : il y a un vieil évier ébréché "tu vois là c'est la salle de bain", une petite table à trois pattes "là c'est la cuisine", de grands morceaux de mousses "ça c'est la chambre" et même un petit poste de télévision, que l'on pourrai trouver sur l'étal d'un brocanteur "on a même la télé dans notre maison !"

Les filles me proposent de prendre "un verre de lait avec elles, et du gateau au chocolat, c'est l'heure du gouter !"... et une fois encore, je suis émerveillée de les voir jouer et s'inventer de belles histoires au milieu d'où ce que surement pleins d'autres ne verraient que des choses abimées et à jeter. Non, elles elles savent faire jouer leur imagination et leur rêves et profiter de ces moments de jeux. C'est vrai qu'elles ne sont que des enfants, qui ont grandi trop vite surement car elles vivent dans des conditions difficiles, mais elles n'en restent pas moins des petites filles...

"Tu vois Claire, quand on aura notre maison, notre vraie maison hein,
on veut qu'elle soit comme celle là !
mais en ROSE !!"
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http://etre-la.over-blog.fr/
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Je suis rarement connecté, mais peut etre pouvez vous donner mon mel à grain de sel ou à mr Ben Bouhtkache?
bonnevoglie arrobase gmx point fr
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j'espere ne pas avoir 'polluer' votre post?
milles excuses au cas ou
en tout cas merci pour vos textes,
courage et sourires!
Lionel le bonne voglie ;o)

Christel a dit…

Je suis très contente d'avoir eu votre visite Lionel, revenez quand vous voulez !! Ca me fait plaisir cette pollution la !