LE BLOG DE CHRISTEL

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Chabadabada.....

Le dessin ci-dessus est de François Matton

mercredi 26 août 2020

«Un lieu, une oeuvre»: Wolfenbüttel (Basse-Saxe) et polars locaux qui gagnent leurs lecteurs à coup sûr !

Quand je suis arrivée en Allemagne en 2009, sans parler bien la langue, un de mes professeurs d’allemand m’avait conseillé de m’acheter une télévision et de regarder "Tatort" (Lieu du crime).




Son argumentation était que, puisque la série se passe dans plusieurs régions d’Allemagne, cela me permettrait de bien saisir les accents et de découvrir l’Allemagne assise dans mon canapé. J’ai bien tenté de suivre son conseil... Mon copain m’a donc offert ma première télévision. En effet, je fais partie de cette tranche résistante peu nombreuse en France qui n’a jamais possédé de télévision. Chose faite ! Devant la télévision, j’ai bien regardé plusieurs épisodes, le dimanche soir à partir de 20 heures 15.

"Tatort", c’est une peu une institution en Allemagne. En novembre 1970 a été diffusé le premier de la série de plus de 900 épisodes. Le générique original est resté le même. Le principe est simple : chaque semaine c'est une équipe d'enquêteurs parmi les 21 réparties entre l’Allemagne, la Suisse et l’Autriche qui se lance à la poursuite du meurtrier. Grâce à cette diversité des villes de l’action, chaque spectateur peut s'identifier au lieu où se déroule l´action. De plus, une petite touche supplémentaire apporte des repères identitaires et des sujets très actuels sont traités : émigration, intersexualité ou extrémisme de droite par exemple. Les scénarios sont simples et le meurtrier facile á deviner… mais bon, après tout 90 minutes d'action, de dizaines de cadavres et beaucoup de sang ne sont pas toujours nécessaires pour avoir un bon polar ! Pour les Allemands, il suffit de rajouter un sentiment de "Heimat“, C'est ce que le "Tatort“, retransmet depuis plus de quarante ans. Nous pourrions longtemps discuter sur la traduction de "Heimat“ mais nous aurions besoin d’un autre article de blog pour cela ! Pour faire court, il s’agit bien que le spectateur se reconnaisse dans un lieu qui lui est cher, une sorte de sentiment d’appartenance à un endroit ou, autrement dit, on se sent "comme à la maison". Ce qui colle bien avec la thématique de cette édition !

Se reconnaître dans une série ou un roman au travers des lieux décrits, voilà une tendance que la littérature policière a adoptée rapidement. Suivant la bonne recette de la série télévisée sont publiés en Allemagne nombre de polars locaux ("Regionalkrimi"). Les auteurs sont souvent originaires de la région qu’ils décrivent et le genre a le vent en poupe. On pourrait presque se faire un programme pour visiter l’Allemagne. Comme je cherche toujours á lire en allemand pour perfectionner mon niveau déjà meilleur (heureusement puisque je vis en Allemagne depuis plus de 10 ans et ai même récemment acquis la nationalité allemande), je m’achète régulièrement ces polars locaux. J’ai bien sûr commencé par les villes où j’ai habité en arrivant (Berlin et Wolfsburg), puis Wolfenbüttel en Basse-Saxe. Ma fascination pour le roman noir ne m’a jamais lâchée. En France, je crois que le terme est passé du roman de terroir au polar régional, ainsi la tendance est aussi populaire en France. Mon compatriote régional que je lis régulièrement, Michel Bussi est bien dans cette mouvance.

Voilà comment je me suis retrouvée à lire les polars de Petra A. Bauer et de Uwe Klausner, qui ont lieu dans la capitale allemande. Petra A. Bauer a grandi dans le quartier de Reinickendorf au nord de Berlin et continue d’y vivre avec sa famille. Uwe Klausner écrit des romans historiques et policiers, en particulier un de ses romans se passe à Berlin pendant la construction du mur de Berlin. Une bonne manière de revisiter l’histoire allemande quand on n’a été ni attentive ni particulièrement intéressée, comme moi, à l’école, il y a longtemps ! Il faut dire qu’à l’époque, l’Allemagne était loin d’être mon centre d’intérêt principal.

À Wolfsburg, j’ai découvert Manuela Kuck avec sa commissaire femme, Johanna Krass. Il fallait oser appeler son personnage comme cela (mortel, d’enfer ou bougrement selon la traduction choisie) !

Mais aujourd’hui, je veux parler d’un lieu et deux auteurs de la région : Hardy Crueger qui vit à Braunschweig et Arne Dessaul (originaire de Wolfenbüttel).

Hardy Crueger a écrit deux livres d'histoires courtes qui se passent autour d’une rivière traversant la région, l’Oker. De la source dans les montagnes du Harz à son embouchure, l’Oker, affluent de l’Aller et sous affluent de la Weser parcourt 128 kilomètres exactement. La rivière s’écoule alors en direction de Vienenburg puis elle bifurque vers le nord en direction de Braunschweig, traverse Schladen et Wolfenbüttel. A Braunschweig, elle se divise en deux canaux de dérivation entourant le centre-ville. L'ancien bras de l'Oker, qui traversait le centre-ville, a été recouvert et s'écoule aujourd'hui par un aqueduc souterrain- Enfin, l’Oker se jette dans l’Aller à Müden entre Gifhorn et Celle.

 Quoi de mieux qu’une rivière pour imaginer des histoires meurtrières inspirées de faits divers tout autour ?


L'Oker (á Leiferde) © Christel 

L’Oker à Wolfenbüttel traverse la ville de part en part. Un quartier pourrait s’appelait le petit venise car il y a plusieurs canaux dans la ville. On peut y naviguer en barque, on peut y faire du canoé, on peut se promener le long de la rivière, qui parfois peut déborder quand il pleut trop là-haut et que les barrages et digues n’arrêtent plus long qui déborde de son lit et inonde les caves des habitants qui ont la mauvaise idée d’habiter trop près. Pour qui habite ici, l’Oker fait tout simplement parti du paysage, d’où le pari gagné d’avance de cet auteur.


 Les activités canoé sur l'Oker © Christel 


Hardy Crueger est né à Oldenburg et a fait ses études à Braunschweig (sciences politiques, sociologie et histoire). Il est aussi musicien (guitariste) et a des expériences scéniques. Artiste très créatif et actif, il organise à Braunschweig et ailleurs des ateliers d’écriture de romans policiers et des lectures parfois très musicale accompagnées de musiciens de jazz, en particulier sur l’Oker, la rivière qui est le protagoniste de beaucoup de ses histoires. 



L'Oker (à Wolfenbüttel) © Christel

Je dois reconnaître qu’il y a un mélange de sentiments contraires lorsqu’on lit des scènes de crimes qui ont lieu dans des lieux connus. Entre fascination et rejet, on oscille sans savoir de quel côté penche la balance. L’ethnologue Thomas Hauschild voit dans le succès de ces romans noirs une forme de désir de fuir la mondialisation. Parce que le monde semble compliqué á comprendre, le polar régional offre une représentation plus simple dans lequel le bon et le mauvais sont clairement définis. Le mal local est plus facilement compréhensible que s’il se passe loin dans un autre pays et les comportements plus facilement reconnaissables, même si souvent un peu cliché (les gens du nord sont rigides, les gens du sud plus cool et les berlinois peu éduqués et polis ! Malheureusement le nombre de lecteurs est autant en chute libre qu’en France en Allemagne (selon les statistiques en 2008, 50% des allemands lisaient un roman noir par an, en 2015 seulement 44%). La qualité des romans est dite en chute elle-aussi et beaucoup trouvent les romans peu imaginatifs, comme un copier-coller d’auteurs du nord de l’Europe.


Moi, je trouve pourtant qu’il y a une littérature de romans noirs de grande qualité sur le marché. 

Le deuxième auteur, Arne Dessaul a fait sa scolarité dans un des deux gros lycées de Wolfenbüttel, installé dans ce qui a été le château des ducs de Braunschweig-Lunebourg. Il vit maintenant á Bochum. Son roman, „Trittbrettmörder“, dans lequel un lycéen règle ses comptes avec les anciens compagnons de baccalauréat m’a plu. Les personnages sont crédibles et l’intrigue tient la route avec sa logique propre, sans trop de sang mais avec des descriptions de la région qui sont réussies.

On se croirait chez Fred Vargas parfois chez cet auteur qui ne cache d’ailleurs pas son admiration pour Vargas même s’il dit que ses derniers romans lui semblent trop empli de mysticisme. Les siens ne le sont pas : on est dans un : mais qui diable est le meurtrier ? Avec un commissaire et adjoints mais avec un rythme qui fonctionne très bien.

L'Oker (á Leiferde) © Christel

Illustrations de la beauté énigmatique de la rivière, quelques photographies miennes de ces dernières années.

Site internet des auteurs non traduits en francais et á lire en allemand, donc !
Hardy Crueger : http://www.hardycrueger.de/index.html
Arne Dessaul : https://www.facebook.com/arne.dessaul

Autres références :

Petra A. Bauer : https://www.krimi-autorin.de/

Manuela Kuck : http://www.manuelakuck.de/

Uwe Klausner : https://de.wikipedia.org/wiki/Uwe_Klausner

Site de la ville de Wolfenbüttel : https://www.wolfenbuettel.de/

Tatort 50 Jahre : https://www.daserste.de/unterhaltung/krimi/tatort/index.html