LE BLOG DE CHRISTEL

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Le dessin ci-dessus est de François Matton

vendredi 19 février 2010

Deux utopies mais "un seul sens à l'action"?



















18 Août 2008 Par Christel
Edition : L'utopie
Aujourd'hui et en écho à l'article d'une autre blogeuse d'y il a quelques mois, j'avais envie de vous parler d'une utopie faite réalité, au moins quelques années. Cette utopie inspirée des phalanstères de Charles Fourier se situe à Guise et est l’œuvre d’un homme : Jean-Baptiste-André Godin.

Je vais d’abord vous parler d’eux et ensuite je me poserai quelques questions sur cette utopie là qui ne ressemble décidément pas aux miennes, quoique… à la lecture récente de l’article de Liliane Bourdin, ma collègue rédactrice de l’édition, je me dis que peut-être…

Mais intéressons nous d’abord à Charles Fourier.



Fils de drapier né à Besançon en 1772, cet homme-là avait des projets plein la tête. En 1789, c'est la bonne époque, il veut changer la société et expose ses projets aux membres du Directoire en 1793 qui lui rient au nez. Mais il ne se décourage pas. Pour lui, la société idéale, ce sont des petites communautés de 1600 à 1800 membres. Ces communautés, qu'il nomme phalanges, remplacent la famille. Sans famille, plus de rapports parentaux, plus de rapports d'autorité. Le gouvernement est restreint au plus strict minimum. Les décisions importantes se prennent en commun au jour le jour sur la place centrale. Chaque phalange est logée dans une maison-cité que Fourier appelle le "phalanstère". Il décrit très précisément son phalanstère idéal: un château de trois à cinq étages. Au premier niveau, des rues rafraîchies en été par des jets d'eau, chauffées en hiver par de grandes cheminées. Au centre se trouve une Tour d'ordre où sont installés l'observatoire, le carillon, le télégraphe Chappe, le veilleur de nuit. Charles Fourier était persuadé que si l'on appliquait ses idées à la lettre partout dans le monde, les habitants des phalanstères connaîtraient une évolution naturelle, visible sur leur organisme.

Il y aurait beaucoup plus à dire sur la quête d’harmonie universelle qui l’anime. Sa théorie de l’Attraction passionnée a ce classement fabuleux digne de Jules Verne de 1620 catégories de type d’homme et de femmes (810 par sexe). C’est ce qu’il appelle une phalange, chacun ayant un rôle précis en fonction de ses affinités et passions. L’intégration dans le groupe est réalisée en toute liberté et par choix réciproque, comme de nos jours se constituerait un orchestre amateur ambitieux.

Il faut savoir que chacun dans le système de Fourier reçoit rétribution après répartition des dividendes annuels du phalanstère d’abord entre les séries, puis entre les groupes qui les composent. Vient ensuite la répartition entre les individus. La méthode est identique pour chaque échelle : le montant dépend du rang occupé dans le phalanstère. Ce rang est déterminé selon divers critères, appliqués à l’intérieur de trois classes : nécessité, utilité et agrément. Ce n’est pas la valeur marchande des produits qui entre en ligne de compte, mais leur capacité à susciter le désir de produire, et leur potentiel d’harmonisation du phalanstère (mécanique d’attraction et d’harmonie).

Charles Fourier promeut ainsi plusieurs idées très innovantes dont la création de crèches. Il reste, malgré l’échec de presque toutes ses essais en France, de par sa réflexion sur l’organisation du travail, sur les relations entre les sexes, entre l’individu et la société un précurseur et du socialisme et du féminisme français.

Je ne saurai trop vous conseiller la visite de ce site pour en savoir plus. Il fourmille de choses passionnantes, n’oubliez pas la partie liens et ressources du site : http://www.charlesfourier.fr/

Quelques phrases pour vous donner à penser :
Le bonheur consiste à avoir beaucoup de passions et beaucoup de moyens de les satisfaire
Le peuple a besoin qu'on l'éblouisse et non pas qu'on l'éclaire.
On commence par dire : cela est impossible pour se dispenser de le tenter, et cela devient impossible, en effet, parce qu'on ne le tente pas.
Ce ne sont pas les plaisirs qui sont malfaisants, mais seulement la rareté des plaisirs, d'où naît l'excès.
L'extension des privilèges des femmes est le principe général de tous progrès sociaux.
Le bonheur de l'homme, en amour, se proportionne à la liberté dont jouissent les femmes.

Des phalanstères approximatifs ou des communautés furent créés par des disciples de Fourier partout dans le monde, notamment en Argentine, au Brésil, au Mexique et aux Etats-Unis. La seule trace visible de la pensée faite réalité de Charles Fourier, c’est sûrement ce qu’en France, en 1859, un autre homme aura passé sa vie à construire : en effet, André Godin, l'inventeur des poêles de chauffage, crée une communauté inspirée des phalanstères de Fourier. 1200 personnes vivent ensemble, fabriquent des poêles et se partagent les profits. Mais le système ne se maintiendra que grâce à l'autorité paternaliste de la famille Godin.

Pour en savoir plus : http://www.familistere.com/site/index.php


Jean-Baptiste-André Godin est un autodidacte, entrepreneur de génie, qui croyant au socialisme et au fouriérisme fonde le Familistère. Godin est réformiste et expérimentateur parce qu'il a une perception aigu des transformations de la société de son temps, parce qu'il croit que l'action économique et sociale peut en corriger les effets néfastes, parce qu'il est convaincu qu'un progrès social peut accompagner le progrès technique et scientifique, enfin parce qu'il concilie l'expérimentation des moyens de créer les conditions du progrès avec la quête de valeurs absolues - le Travail, la solidarité, l'équité, la liberté, le devoir.


La secrétaire de J.-B.-A. Godin s'enthousiasme pour le projet du Familistère. J.-B.-A. Godin et sa collaboratrice se marient en 1886. La discrète Marie Moret est une femme émancipée, cultivée, engagée. Elle occupe une place importante dans la conduite des affaires du Familistère, dont elle dirige les services d'éducation. Elle tient sans aucun doute un rôle déterminant dans l'intimité de l'appartement du Palais social pour l'élaboration des décisions. Marie Moret devient administratrice-gérante de la société du Familistère à la mort de son époux ; elle constitue la mémoire du Familistère et en organise la promotion en France et à l'étranger.

Mais qu’est ce donc que ce familistère ou palais social ?
Il s’agit de trois pavillons d'habitation élevés au centre de la cité familistérienne. L'organisation géométrique de l'espace s'impose à la topographie irrégulière du site. La place centrale du Familistère se trouve à la croisée de deux axes constitutifs : l'axe "économique" est-ouest de communication avec l'usine au-delà de la rivière et l'axe " social " nord-sud qui va de la nourricerie au théâtre. Sur la rive nord de la place s'élèvent les immeubles d'habitation : trois parallélogrammes juxtaposés et reliés par un angle forment le corps principal en retrait et les deux ailes du palais dont la façade qui regarde la ville de Guise se développe sur 170 mètres. Pour des raisons économiques et parce qu'une telle entreprise sociale et culturelle doit procéder par étapes, Jean-Baptiste-André Godin construit les pavillons l'un après l'autre, d'est en ouest.

Après l'achèvement du troisième immeuble en 1878, près de 350 appartements sont proposés en location aux familles des employés de l'usine sur la base d'un prix au mètre carré, variable selon l'étage et l'exposition. 1200 habitants vivent alors au Palais social. En plus des conditions financières avantageuses, les locataires bénéficient d'un confort et d'une qualité de services inégalés à cette époque dans le logement des classes populaires ou moyennes. Le Palais social n'a cependant pas que des attraits pour la première génération de familistériens. Les vertus de l'habitation collective suscitent des réticences auprès d'une population majoritairement d'extraction rurale. L'architecture et l'histoire du palais sont marquées par la tension entre la discipline collective et la liberté des individus dans l'espace commun ou la sphère privée.

Le Palais est une partie de l'apport de Jean-Baptiste-André Godin au capital de l'Association coopérative du Capital et du Travail créée en 1880. Les associés sont devenus collectivement propriétaires des immeubles tout en restant individuellement locataires de leur appartement.

Après la dissolution de l'Association coopérative en 1968, les logements du Palais social ont été mis en vente à prix modéré par Godin S.A. Les appartements ont parfois été acquis par leur ancien locataire. Des propriétaires bailleurs privés ont saisi l'occasion d'investir avec profit un capital. En une vingtaine d'années, la population du Palais social a été largement renouvelée par l'arrivée d'habitants sans lien avec le Familistère ou l'usine. Les logements ont été transformés, agrandis, pas toujours modernisés. En 2002, on recensait dans l'ensemble des trois bâtiments d'habitation 202 logements dont un tiers était vacant. Sans unité coopérative, le Palais social avait perdu son sens et son attrait.

Le voir aujourd’hui en images (je l’ai visité avec quelqu’un qui y a vécu, mais je n’avais pas d’appareil, (dommage !), mais ces magnifiques photographies de Georges Fessy vous le feront voir dans toute sa richesse :
http://www.familistere.com/site/decouvrir/vu_par/photos_fessy.php

Cette société là, paternaliste et néanmoins à la pointe du progrès social a vécu de longues années et nombre sont les témoignages de ceux qui y ont vécu pour dire qu’on y vivait très certainement mieux qu’ailleurs. Ce ne devait bien sur pas être parfait, mais les écoles permettaient aux enfants d’ouvriers méritants d’aller plus loin qu’ils n’auraient pu l’imaginer, la vie sociale du lieu était forte et même si la cohabitation ne devait pas y être rose tous les jours parmi ces gens venus du rural et peu habitués au collectif, ce qui y a été tenté relève de la folie faite raison.

Ce qu’a fait cet homme là est, souvent, ce que plus tard, la société dans laquelle nous vivons aujourd’hui a repris à son compte. En oubliant cependant parfois un peu le pourquoi du début. Je fais référence au beau texte de ma collègue rédactrice de l’édition, Liliane Bourdin, quand elle écrit : « On veut nous faire croire que organiser ses actions à partir d'une utopie, aliène, comme la religion a pu aliéner les hommes. Je pense que c'est l'inverse. Le terme même implique que le modèle n'est pas réalisable. Il n'y a pas aliénation. Il s'agit simplement de savoir dans quel sens on veut agir. L'aliénation commence quand on est dupe du mirage utopique, soit qu'on perde de vue le pragmatisme, soit, surtout, que l'utopie serve d'alibi, et de couverture, à l'abus de pouvoir de certains. Mais dans ce cas, soyons-en sûrs : le problème n'est pas l'utopie, c'est le goût du pouvoir qui peut faire feu de tout bois, idéal ou pragmatisme. »
Le sens de l’action, c’est cela qui compte, Liliane Bourdin a bien raison en le proclamant fort, « Sans utopie, au nom de quoi défendrait-on les plus faibles ? Et, si l'on ne défend pas les plus faibles, vers quoi va la société ? »

Ce sens de l’action, au fond les deux hommes que j’ai cités l’avaient, chevillé au corps. Pourquoi ? Nous pourrions nous interroger certains plus que d’autres sont sensibles à l’injustice sous toutes ses formes et surtout sociale, à la combattre et à lutter pour qu’elle s’estompe dans des constructions philosophiques compliquées (avouez que 1620 catégories de types d’hommes et de femmes, il faut les trouver pour en faire un monde) ou plus pragmatiques dans la construction bien réelle d’un univers petit monde à soi comme le familistère ?

Il n’y a pas de société idéale, il n’y a que l’utopie de la rendre moins dure et plus douce à certains, plus dure pour ceux qui en abusent et la désabusent aussi. Mais la deuxième chose est toujours plus difficile que la première !

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